13
Décembre
2021
|
13:34
Europe/Amsterdam

La durabilité est assurée par les impôts

* La transition agricole attend des mesures pratiques, plutôt qu'une exigence sur la conformité *

opinie

 

Le 9 décembre, le quotidien néerlandais NRC a publié un article d'opinion de Paul Polman, auteur de "Net positive : how courageous companies thrive by giving more than they take" et ancien PDG d'Unilever, et de Volkert Engelsman, PDG d'Eosta. Ils affirment que la percée d'un nouveau paradigme durable dans l'agriculture et l'économie ne peut plus être niée. Ils plaident donc pour une révision du système financier, en particulier du système fiscal. Les règles de gouvernance et les exigences en matière de rapports ne suffisent pas à motiver intrinsèquement les entreprises et risquent de ne laisser que les plus grandes entreprises accéder aux milliards de l'agriculture européenne.

"La durabilité est assurée par les impôts

La transition agricole attend des mesures pratiques, plutôt qu'une exigence sur la conformité 

Fin novembre, le Parlement européen a émis un vote définitif sur l’affectation de 387 milliards d'euros au profit des fonds agricoles européens. Ainsi, 25% des subventions attribuées aux agriculteurs doivent désormais permettre une agriculture respectueuse du climat. Les partis agricoles traditionnels néerlandais, le CDA (Parti Démocratique Chrétien) et le SGP (Parti politique protestant réformé), sont satisfaits. En effet, en octobre, un vent de panique a soufflé sur ces partis quand le Parlement européen a voté à une écrasante majorité en faveur de la politique ‘Farm to Fork’ de la Commission européenne. Un véritable choc, car cela impliquait : une réduction de 50% de l'utilisation des pesticides et de 20% de l'utilisation d’engrais artificiels, et un minimum de 25% d'agriculture biologique d'ici à 2030. Le CDA, le SGP, les organisations d'agriculteurs et l'Université et la Recherche de Wageningen ont crié haut et fort que cet objectif était irréalisable. Visiblement, les nouveaux votes sur le budget agricole rassurent quelque peu les partis agricoles traditionnels, leur faisant espérer qu’il n’y a sans doute pas lieu de s'inquiéter outre mesure.

Mais c’est une erreur cruciale. Car le changement de cap de l'Union européenne en matière d'agriculture montre clairement la percée d'un nouveau paradigme. Non seulement dans l'agriculture, mais aussi dans l'ensemble de l'économie mondiale. Et les signaux ne cessent de s'accumuler. Un tribunal néerlandais a condamné Shell à réduire ses émissions, la multinationale fait donc maintenant face à des actifs non réalisés exponentiels. A Glasgow, lors du Sommet sur le climat, les Pays-Bas ont été contraints, par la pression de leurs pairs, de cesser d'investir dans les combustibles fossiles étrangers. Et le True Cost Accounting, permettant de chiffrer l'impact environnemental d'une entreprise, gagne partout du terrain dans le secteur financier. Dans l'agriculture également, la survie de l'humanité et de la planète prend le pas sur la maximisation de la production

L'UE n'est pas la seule à vouloir une agriculture plus durable : Glasgow a assisté au lancement du projet Regen10 qui vise à atteindre 50% d'agriculture régénérative d'ici à 2030. Le projet est soutenu par l’Union internationale pour la conservation de la nature, le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable et d'autres parties influentes. Toute personne aux Pays-Bas qui ignore encore la pandémie de parkinson frappant les agriculteurs, et le problème de l'azote (c’est-à-dire un problème d'engrais et de concentré alimentaire) vit en dehors de la réalité internationale.

On ne peut plus arrêter cette marée. La Doctrine Friedman appartient au passé : désormais, les entreprises ont une responsabilité sociale qui va au-delà de la réalisation de bénéfices pour les actionnaires. Une fois que l’on a constaté que l'économie scie la branche sur laquelle elle repose, on ne peut plus chercher à l’épargner. La nécessité de travailler de manière plus durable est devenue existentielle.

Comment allons-nous créer cette nouvelle forme d’économie ? Partout en Europe, une nouvelle législation est en préparation qui obligera les entreprises à rendre des comptes sur leur durabilité. L'année dernière, l’Europe a adopté la Directive sur les rapports sur le développement durable des entreprises de même que la nouvelle Taxonomie de l'UE, un système de classification des activités économiques que l'UE considère comme durables ou respectueuses du climat. La taxonomie de l'UE est conçue comme une ligne directrice pour les fonds d'investissement, mais elle déterminera probablement aussi l’affectation des investissements et des subventions agricoles.

L'attention portée à ces systèmes de rapports et de classification est compréhensible et nécessaire, mais elle représente également un danger : on ne peut pas forcer les entreprises à devenir réellement durables avec des obligations de rendre des rapports. Le danger est que nous nous dirigions vers une énorme bureaucratie de la durabilité, dans laquelle seules les très grandes entreprises pourront se frayer un chemin jusqu'aux milliards européens. Le véritable changement ne s'impose pas, il doit venir de l'intérieur. La véritable innovation vient d'une petite minorité qui lance des tendances. Il ne faut surtout pas que ces faiseurs de changement soient étouffés dans l'œuf par une bureaucratie conçue pour des dinosaures. Il est symptomatique que le nouveau budget agricole de l'UE ne réserve que 10% aux petites et moyennes entreprises et 90% aux géants de l'agrochimie.

C’est loin d’être suffisant. Pour rendre une voiture plus durable, il ne suffit pas d’imposer de multiples exigences au conducteur, mais il faut aussi changer le moteur. C’est donc au gouvernement de prendre des mesures financières concrètes pour que les processus commerciaux deviennent réellement plus durables. Ce qui s'applique avec certitude à l'agriculture. Des mesures fiscales sont nécessaires pour orienter la transition durable dans la bonne direction.

Heureusement, les choses changent déjà : la demande de réduction de la TVA sur les fruits et légumes est de plus en plus populaire en Europe et a déjà été partiellement mise en œuvre en Allemagne. Des voix s'élèvent également pour réclamer une taxe sur la viande et le sucre ou encore une taxe universelle sur le CO2.

Mais il s’agit ici d’un engagement unique. Or, on peut considérer que trois aspects économiques essentiels se doivent d’être profondément remaniés : l'effondrement écologique, le fossé en matière de richesse et la crise sanitaire. Ceci demande un remaniement complet du système fiscal, en passant de la taxe sur la valeur ajoutée à la taxe sur l'utilisation des ressources naturelles, afin de permettre le renforcement de la durabilité et pour stimuler l'emploi. Le Projet Ex’tax d’Eckart Wintzen par exemple, donne une impulsion en ce sens.

Maintenant que l'Europe a rendu sa décision, la balle est dans le camp des pays. Il est grand temps que les Pays-Bas adoptent la nouvelle normalité. Le Sommet sur le climat qui a eu lieu à Glasgow a émis des promesses fortes : nous ferons tout notre possible pour rester sous la barre des 1,5 degrés de réchauffement. Ainsi, ne restons pas enlisés par la bureaucratie, mais passons à l'action le plus rapidement possible. Ce qui demande des signaux fiscaux forts, afin de créer une concurrence plus équitable dans le marché que se partagent les producteurs durables et non durables."

Volkert Engelsman, PDG d’Eosta :

Paul Polman est co-fondateur d'Imagine et ancien PDG d'Unileveman ist Mitgründer von “Imagine” und ehemaliger CEO von Unilever.